le silence d’oradour-sur-glane
Village martyr — ruines fantômes prisonnières du massacre dans lesquelles résonne le souvenir du nombre 643.
À l’entrée, on compte les visages des bébés.
Marcher dans Oradour, c’est marcher quatre-vingts ans en arrière. Au lendemain du 10 juin 1944, une fois les flammes éteintes et la fumée dispersée entre les nuages.
C’est marcher en silence, également. En observant chaque mur, chaque ruelle, chaque gond de porte. Le parcours ponctué par les plaques “ici, lieu de supplice, recueillez-vous”.
Longtemps, le téléphone est resté dans le sac.
Jusqu’au moment où trois photos m’ont appelé.
Quelque part, je les ai trouvées belles, ces ruines.
D’une beauté rare, irradiante sous une chaleur de plomb — le type de chaleur qui grésille une dizaine de centimètres au-dessus du sol, portée par la rouille brillant sous les éclats du soleil et les murs de gris et d’ocre sur le bleu limpide du ciel.
Un Premier sourire derrière des larmes
Au silence s’est ajouté un sourire, en apercevant deux enfants jouer aux funambules sur les rails, puis d’autres faisant la course sur les pavés avant de finir par traîner les pieds.
Faire tout, finalement, sauf se recueillir en silence.
Puis, j’ai levé les yeux au ciel face aux parents qui les forçaient à se calmer, à se taire, à faire silence. Je me suis demandé si les bébés, en photos dans l’entrée, auraient aimé qu’on éteigne les rires d’enfants comme eux.
Sacraliser le silence, c’est interdire à la vie d’exister.
DES LUEURS AU-DEVANT DES LIEUX DE RECUEILLEMENT
Pourtant, à Oradour, elle est partout : la vie.
Dans la marée de pissenlits assiégeant la vieille Peugeot à l’entrée du village. Dans l’église qui a conservé son confessionnal — on s’attend presque à voir un curé en sortir. Dans le chant des oiseaux sur les branches des arbres. Dans le murmure du soleil sur les fils électriques. Dans la mousse qui recouvre les rails — on entend presque le bruit d’un prochain train en gare. Dans les fleurs qui ont retrouvé leur place dans les pots de céramique et de ferraille. Dans le miaulement de la chatte qui a élu domicile dans l’arrière-cour du dentiste. Dans les fantômes, aussi, qui sont restés.
Il n’est pas difficile de les apercevoir à chaque coin de rue, sur chaque trottoir, devant chacune de leurs maisons. Comme s’ils attendaient que la vie reprenne, qu’on reconstruise leur ville, qu’on bouge leur voiture du passage, qu’on les autorise à récupérer leur vieille bécane calcinée et la machine à coudre sur le bord de fenêtre, avant qu’elle ne s’enrouille davantage.
De la mairie vers le Centre de la Mémoire, une exposition a été installée, regroupant les témoignages de descendant·e·s de survivant·e·s et de victimes.
Une racontait que, lorsqu’elle était enfant, les ruines n’étaient pas prisonnières de murs et de verrous comme elles le sont maintenant. Elle y allait pour jouer, pour confier des secrets, pour courir, pour rire, pour tenter d’attraper les lapins.
Un jour, je crois, Oradour retrouvera cette innocence.
Elle sera à l’image de ces châteaux moyenâgeux que l’on rencontre sans se poser la question de qui est mort·e sous cette arche, qui a été pendu·e dans cette cour, qui a brûlé vif·ve dans une autre.
notre existence fait mémoire
Naturellement, le regard change.
On croise des gens qui se photographient devant les ruines — parfois légèrement honteux de le faire, des gens qui arpentent les rues au travers de la lentille de leur appareil, des gens qui, sur le chemin du retour, parlent de la glace qu’ils vont s’empresser d’acheter, des gens qui s’arrêtent à la boutique pour consulter les cartes postales, et des gens qui, sur le parking, commentent la “visite” comme ils commenteraient une attraction touristique — “y’a pas grand-chose à voir, en fait.”
Mais est-ce que ça n’est pas également ça, se rappeler ?
Laisser les enfants jouer sur les rails. Trouver la ville à la fois triste et belle. Souhaiter la prendre en photo. S’autoriser un sourire, ou deux. Pleurer, aussi, si on veut. Faire silence ou discuter à l’ombre du chêne — dernier témoin du massacre. Traîner des pieds. Lever les yeux au ciel. Sentir le poids du passé tout en craignant celui de l’avenir.
Être libre, finalement, d’exister.
Pour le nombre 643 à qui on a arraché l’existence.
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Si vous envisagez de vous rendre à Oradour, ou si vous cherchez à en savoir plus sur son histoire et son passé sinistre, je vous renvoie au site du Centre de la Mémoire.
Vous pouvez consulter, notamment, la page relatant le récit du massacre.
L'exposition photographique mentionnée dans l'article s'intitule "Champ de Foire". Elle a été créée par Pierre & Florent pour les 80 ans de commémoration.
Elle est gratuite, en accès libre, sans avoir besoin d'entrer sur le site. -
L’accès au village seul est gratuit, aux horaires d’ouverture du site.
Le parking du site est gratuit et dispose de places camping-cars/vans. Les places ombragées partent vite. Les chiens étant interdits, je vous conseille d'arriver tôt pour laisser votre animal dans votre véhicule, à l'ombre.
Pour dormir, je vous conseille l'aire de camping-cars de Javerdat, à 5kms d'Oradour.
Elle dispose de quatre emplacements séparés par de grandes haies, avec des bornes eau et électricité payantes (2€ le jeton pour 1h d'élec ou 10min d'eau, à acheter en mairie). -
Oradour fait partie de ces lieux qui, selon moi, doivent être parcourus en pleine conscience. Ce n’est ni un lieu à “conseiller” ni une “visite” à inscrire sur un itinéraire “à faire en vacances”. Tout simplement parce que, pour certain·e·s, cela peut être dur. Voire, impossible. Et il n’y a aucun mal à cela.
Prenez le temps de vous poser sincèrement la question.Sentez-vous libre de quitter les ruines si cela devient trop difficile. Ou simplement de vous asseoir, reprendre votre souffle.
Personnellement, j’ai pleuré. J’ai également évité de justesse une crise d’angoisse à l’entrée. En voyant le premier panneau “ici, lieu de supplice”, j’ai eu la nausée. Tout ça pour vous rappeler qu’on ne réagit pas de la même manière face aux lieux comme celui-ci.Respectons chacune de nos réactions, et écoutons-nous.